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Publié le par evergreenstate


http://www.rue89.com/2008/02/16/ogm-quand-monsanto-seme-la-terreur


OGM: quand Monsanto sème la terreur
Pressions sur les scientifiques, les politiques et les médias: une enquête dévoile les méthodes du géant de l'agriculture.
Champ de blé OGM de la firme, dans le Dakota du Nord (Carey Gillam MMR/Reuters).
Elle se dit inquiète, mais prête à aller jusqu'au bout de cette enquête. Marie-Monique Robin, lauréate du prix Albert-Londres, a pourtant l'habitude des reportages périlleux. Mais elle avoue que celui-ci dépasse tout ce qu'elle attendait.
Le documentaire qu'elle en a tiré, intitulé "Monsanto, une entreprise qui vous veut du bien", fait froid dans le dos. Rythmé comme un thriller sur la santé publique, il fait songer au film Erin Brokovich, de Steven Soderbergh, mais sans Julia Roberts pour tout arranger à la fin.

Leader mondial des OGM, Monsanto est à l'origine de bien d'autres produits controversés, depuis sa création en 1901. La liste est longue. La firme est le principal producteur de PCB (le pyralène, polluant organique persistant aujourd'hui interdit et responsable de nombreuses pollutions), de l'agent orange, herbicide utilisé pendant la guerre du Vietnam et fortement cancérigène, et d'hormones de croissances bovine et laitière interdites en Europe.(Voir la vidéo.)
Dans son livre, Marie-Monique Robin livre des exemples de pressions exercées sur des scientifiques, qui seront licenciés ou discrédités pour avoir critiqué les produits Monsanto. Elle donne également la parole à des experts remettant en cause les expériences sanitaires menées par la multinationale. En exclusivité, Rue89 vous en livre quelques extraits:
Influence à la Maison Blanche
Comment l'entreprise Monsanto a-t-elle réussi à mettre sur le marché américain tant de produits, finalement interdits des années plus tard, sans que les scientifiques indépendants ne parviennent à se faire entendre, sans que les journalistes n'émettent de voix discordantes?
Selon Marie-Monique Robin, la firme jouit d'une grande influence. Dans la sphère scientifique d'abord, car à l'origine de nombreux financements pour la recherche, mais aussi à la Maison Blanche, où se sont succédés d'anciens ou de futurs dirigeants de Monsanto. (Voir la vidéo.)

Monsanto a-t-elle changé? Ses OGM sont-ils inoffensifs pour la santé? Selon l'auteur du livre "Le Monde selon Monsanto", il est permis d'en douter. Devant notre caméra, elle affirme que les études suffisantes n'ont jamais été menées, à cause du "principe d'équivalence en substance", qui établit qu'un plant transgénique est identique à un plan non modifié, et que donc, les expériences sont inutiles. (Voir la vidéo.)

Extrait: Le Monde selon Monsanto (1)
L’affaire de l’hormone de croissance bovine (1):
la Food and Drug Administration sous influence
"Comme la composition chimique du lait n’est pas altérée par l’usage
du Posilac, ses propriétés et son goût ne changent pas."

Site Web de Monsanto.
"Cette affaire fut une véritable descente aux enfers… J’étais entré à la Food and Drug Administration [FDA] en pensant œuvrer pour le bien de mes compatriotes, et j’ai découvert que l’agence avait trahi son rôle de gardien de la santé publique pour devenir le protecteur des intérêts des firmes industrielles." Quand je le rencontre à New York, le 21 juillet 2006, près de vingt ans après l’"affaire", le docteur Richard Burroughs a toujours du mal à en parler. "Trop douloureux, lâche-t-il, la gorge serrée, à chaque fois que je l’évoque, c’est comme si le sol se dérobait à nouveau sous mes pieds et que j’allais disparaître avec lui. C’est très difficile d’admettre encore aujourd’hui que j’ai été licencié de la célèbre FDA, parce que je m’opposais à la mise sur le marché d’un produit que j’estimais dangereux! C’était pourtant cela ma mission!"
À observer le désarroi du docteur Burroughs, je repense à Cate Jenkins, la scientifique de l’EPA qui avait rédigé un rapport questionnant la validité des études de Monsanto sur la dioxine, à William Sanjour (voir supra, chapitre 2) et à tous ceux que nous allons rencontrer au fil de ces pages: Shiv Chopra, de Health Canada, Arpad Pusztai du Rowett Institute, Ignacio Chapela de l’université de Berkeley, ou les journalistes Jane Akre et Steve Wilson. Tous ont en commun cette voix qui s’étrangle, dès qu’ils commencent à évoquer leur expérience de whistleblower. À ce titre, l’histoire de Richard Burroughs constitue un cas d’école.
"Viré pour incompétence"
Ce vétérinaire, diplômé de l’université Cornell, a d’abord travaillé comme praticien libéral dans l’État de New York, où ses parents exploitaient un troupeau de vaches laitières. "J’adore les vaches, dit-il, avec un sourire qui illumine subitement son visage de sexagénaire. C’est pour elles que j’ai choisi ce métier!" En 1979, il est recruté par la Food and Drug Administration, qui lui propose une formation en toxicologie. "J’ai accepté de quitter ma campagne natale pour Washington, car pour moi c’était vraiment le must!" Pour lui, et pour le reste du monde. Qui n’a pas entendu, au moins une fois dans sa vie: "Le produit a été autorisé aux États-Unis, c’est donc qu’il n’y a pas de problème." Autorisé par qui? Par la FDA justement.
Créée officiellement en 1930, l’agence est chargée de l’autorisation de mise sur le marché des produits alimentaires ou pharmaceutiques destinés à la consommation humaine ou animale. Sa bible, c’est le Food Drug and Cosmetic Act, signé par le président Theodore Roosevelt en 1938. Un texte contraignant, où la FDA puise son autorité, qui se voulait une réponse à un drame national: un an plus tôt, une centaine de personnes étaient décédées après avoir ingéré de l’élixir de sulfanilamide, un médicament fabriqué avec un solvant qui se révéla mortel. Le Food Drug and Cosmetic Act exigeait que tout produit contenant des substances nouvelles soit à l’avenir préalablement testé par les entreprises et soumis à une autorisation préalable de la FDA, avant sa mise sur le marché. En 1958, le texte a été complété par l’"amendement Delaney1" qui stipule que si un produit présente le moindre risque cancérigène, celui-ci ne doit pas être homologué. Dans tous les cas, il est important de noter que l’agence ne réalise pas elle-même d’études toxicologiques, comme des essais sur les animaux, mais qu’elle se contente d’examiner les données fournies par les fabricants.
C’est ainsi qu’en 1985, le docteur Burroughs, qui travaille dans le Centre de médecine vétérinaire (CVM) de la FDA, reçoit la mission d’analyser la demande d’autorisation de mise sur le marché d’une hormone de croissance bovine, la somatotropine (BST), fabriquée par manipulation génétique par Monsanto2 et destinée à être injectée aux vaches deux fois par mois pour augmenter leur production laitière d’au moins 15 %. "Pour le CVM, c’était un produit tout à fait révolutionnaire, explique Richard Burroughs, car c’était le premier médicament transgénique que nous avions à étudier."
La somatotropine est une hormone naturelle que secrète abondamment l’hypophyse des vaches après un vêlage et qui stimule la lactation, en permettant la mobilisation des réserves corporelles de l’animal grâce à une action sur ses tissus. Depuis que sa fonction avait été décrite par des scientifiques soviétiques en 1936, les laboratoires liés à l’agro-industrie avaient essayé de la reproduire pour accroître le rendement des cheptels. En vain: il fallait sacrifier vingt vaches par jour afin de composer à partir de leurs hypophyses la dose journalière d’hormone laitière requise pour un seul animal... À la fin des années 1970, des chercheurs financés par Monsanto sont parvenus à isoler le gène qui produit l’hormone. Ils l’ont introduit par manipulation génétique dans une bactérie Escherichia coli (ou "colibacille", bactérie commune qui peuple la flore intestinale des mammifères, y compris de l’homme), permettant ainsi sa fabrication à grande échelle. Cette hormone transgénique a été baptisée par Monsanto recombinant Bovine Somatotropin (rBST), ou recombinant Bovine Growth Hormone (rBGH)3. Dès le début des années 1980, la firme organise des essais dans des fermes expérimentales lui appartenant ou en collaboration avec des universités comme celle du Vermont ou de Cornell.
"Le dossier fourni par Monsanto était aussi haut que moi, m’explique Richard Burroughs, lequel mesure un bon mètre quatre-vingt... Or, le règlement de la FDA nous impose de ne pas dépasser un délai de cent quatre-vingt jours pour analyser les données. En fait, c’est une technique des entreprises pour décourager un examen minutieux: elles envoient des tonnes de papier en espérant que vous vous contenterez de les survoler. J’ai très vite compris que les données ne visaient qu’à prouver que la rBGH dopait effectivement la production laitière. Les scientifiques travaillant pour Monsanto ne s’étaient pas du tout intéressés à des questions cruciales: qu’est-ce que cela signifie physiologiquement pour les vaches de produire du lait au-delà de leur capacité naturelle? Comment va-t-il falloir les nourrir pour qu’elles survivent à cet exploit? Quelles maladies cela peut-il provoquer? Ils n’avaient même pas pensé que les vaches allaient à coup sûr développer des mammites, c’est-à-dire des inflammations des pis, une pathologie courante dans les troupeaux à haut rendement.
– Et la mammite constitue aussi un problème pour le consommateur?
– Bien sûr, car elle se traduit par une augmentation des globules blancs, c’est-à-dire qu’il y a du pus dans le lait! Il faut traiter les vaches avec des antibiotiques, qui peuvent rester sous forme de résidus dans le lait. Donc, tout cela est très sérieux… De plus, il faut comprendre que l’hormone transgénique bouleverse le cycle naturel de la vache. Normalement, celle-ci se met à produire de la somatotropine, après un vêlage, ce qui lui permet de nourrir son petit. Au fur et à mesure que le veau grandit, la sécrétion de l’hormone ralentit, pour s’arrêter définitivement. Pour relancer la production laitière, il faut donc que la vache ait un nouveau veau. La rBGH permet de maintenir artificiellement la fabrication de lait au-delà du cycle naturel. C’est pourquoi elle peut poser des problèmes de reproduction pour la vache, et donc entraîner un préjudice financier pour l’éleveur. Quand j’ai vu que toutes ces données manquaient, j’ai demandé à Monsanto de revoir sa copie, ce qui a pris deux à trois ans, car pour que l’étude soit valable, il fallait suivre l’évolution des vaches sur au moins trois cycles…
– Et quels furent les résultats des nouvelles études?
– D’abord, je dois dire qu’elles étaient d’une très faible qualité scientifique! Par exemple, si vous voulez mesurer l’impact de l’hormone transgénique sur les mammites, il faut déterminer dans chaque élevage un groupe de vaches traitées avec l’hormone, et un groupe contrôle sans traitement qui sera strictement élevé dans les mêmes conditions que le premier. Or, Monsanto avait dispersé les vaches traitées et non traitées entre différents sites expérimentaux, en mélangeant ensuite tous les résultats. J’ai été obligé encore une fois de corriger le tir. De même, je me souviens d’une visite surprise que j’avais effectuée dans l’un de leurs laboratoires censé analyser l’effet de l’hormone sur les organes et les tissus des vaches: j’ai découvert que des reins avaient disparu! Malgré tous ces défauts techniques, il ressortait clairement des études que la fréquence des mammites était beaucoup plus élevée…
– Avez-vous averti vos supérieurs de la FDA?
– Oui, me répond le docteur Burroughs, dans un premier temps, ils ont réagi correctement…"
De fait, un document daté du 4 mars 1988 atteste que Richard P. Lehmann, directeur de la Division de la production de médicaments au CVM, a transmis les inquiétudes de son agent à Terrence Harvey, de Monsanto4: "Nous avons examiné votre demande et la trouvons incomplète, écrit-il. Les tests sont insuffisants. […] Vous n’avez pas clairement identifié l’incidence clinique des mammites dans les troupeaux testés. […] Vous devriez clarifier quels traitements vous allez utiliser pour soigner les mammites. […] Nous vous rappelons que l’usage de la gentamicine et de la tétracycline n’est pas autorisé pour le traitement des mammites dans les troupeaux laitiers. […] Vous avez compromis l’utilité de vos données sur la reproduction en utilisant de la progestérone et des prostaglandines. Il n’est pas possible d’évaluer les effets de la somatotropine bovine sur la reproduction si simultanément des essais avec d’autres hormones reproductives masquent ou altèrent les effets du médicament." Enfin, concernant l’étude toxicologique conduite sur des rats, le responsable du CVM est cinglant: les rats étudiés sont trop peu nombreux (sept), il n’y a que des femelles, la durée de l’étude est trop courte (sept jours) et les doses ingérées par les cobayes trop faibles...
C’est à partir de ce courrier que commence la descente aux enfers du docteur Burroughs. "Subitement, j’ai été mis sur la touche, raconte-t-il. On m’a bloqué l’accès aux données que j’avais moi-même demandées, jusqu’à ce que je sois complètement dépossédé du dossier. Et puis le 3 novembre 1989, mon chef m’a raccompagné à la porte, c’était fini pour moi…
– Vous avez été licencié?
– Oui, pour incompétence", murmure Richard Burroughs.
Le vétérinaire porte plainte contre la FDA pour licenciement abusif. Il gagne en première instance, l’agence fait appel, mais elle est finalement condamnée à réintégrer son agent. "J’ai été muté à la division porcine, commente-t-il. Je ne connaissais rien aux cochons! À tout moment, je pouvais commettre une faute grave, alors j’ai préféré démissionner. Ce fut une période très noire… Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’étais ruiné, car les procès m’avaient coûté très cher et je n’avais pas de travail. Heureusement qu’il y avait ma femme et mes deux enfants…"
– Est-ce que vous avez été menacé?
– Euh… Physiquement? Je ne préfère pas en parler… Moralement, oui. Lors de mon procès en appel, les avocats de Monsanto ont menacé de me poursuivre si je révélais des informations confidentielles concernant la rBGH. C’est typique de Monsanto…
– Pensez-vous que la FDA a été trompée par Monsanto?
– “Trompée” n’est pas le mot juste, car il signifie que cela se serait passé à son insu. Non, l’agence a sciemment fermé les yeux sur des données dérangeantes, parce qu’elle voulait protéger les intérêts de la société, en favorisant au plus vite la mise sur le marché de l’hormone transgénique"…

1 Du nom du député démocrate de New York James Delaney (1901-1987), lequel se retournerait à coup sûr dans sa tombe s’il pouvait lire ces pages…
2 Dans les années 1970, trois autres sociétés ont réussi à fabriquer l’hormone transgénique: Elanco, une filiale d’Eli Lilly, UpJohn et American Cyanamid. Mais finalement seule Monsanto restera en course.
3 Aujourd’hui, les deux termes sont utilisés, mais pas par les mêmes personnes: soucieuse de gommer le fait que son produit est une hormone artificielle, Monsanto parle exclusivement de "rBST" ; quant aux opposants, ils emploient "rBGH"…
4 Terrence Harvey a fait toute sa carrière à la FDA, où il dirigea notamment le CVM, avant de partir pantoufler chez... Monsanto, comme directeur des affaires réglementaires.

Extrait: Le Monde selon Monsanto (2)
"C’est de la mauvaise science"
"Ce n’est pas à Monsanto de garantir la sécurité des aliments transgéniques, a déclaré en octobre 1998 Phil Angell, le directeur de la communication de la multinationale. Notre intérêt, c’est d’en vendre le plus possible. Assurer leur sécurité, c’est le job de la FDAi." La citation ne fait même pas sourire James Maryanski, qui assure manger du soja transgénique tous les jours, "parce qu’aux États-Unis, 70 % des aliments disponibles dans les magasins contiennent des OGM. La FDA est confiante que ce soja présente la même sécurité alimentaire que les autres variétés, m’affirme-t-il lors de notre rencontre en juillet 2006.
– Comment la FDA peut-elle en être sûre?
– C’est fondé sur les données que la compagnie a fournies à la FDA et qui ont été évaluées par les scientifiques de l’agence. Et ce n’est pas dans l’intérêt d’une entreprise de conduire une étude pour ensuite en masquer les résultats", me répond l’ancien "coordinateur de la biotechnologie" de la FDA.
On aimerait bien partager l’optimisme de James Maryanski. Mais, pour être franche, tous les doutes sont permis. C’est en tout cas l’impression que j’ai eue après mon long entretien avec le professeur Ian Pryme — que j’ai rencontré le 22 novembre 2006 dans son laboratoire du département de biochimie et de biologie moléculaire de l’université de Bergen, en Norvège. En 2003, ce scientifique d’origine britannique et un collègue danois, le professeur Rolf Lembcke (aujourd’hui décédé), ont eu la bonne idée d’analyser les (rares) études toxicologiques conduites sur les aliments transgéniquesii. Parmi elles, il y avait la seconde étude publiée en 1996 par les chercheurs de Monsanto, qui visait cette fois-ci à évaluer l’éventuelle toxicité du soja Roundup readyiii.
"Nous avons été très surpris de découvrir qu’il n’y avait que dix études recensées dans la littérature scientifique, m’explique Ian Pryme, c’est vraiment très peu au regard de l’enjeu.
– Comment l’expliquez-vous?
– D’abord, il faut savoir qu’il est très difficile de se procurer des échantillons des matériaux transgéniques parce que les firmes en contrôlent l’accès. Elles exigent une description détaillée du projet de recherche, et elles sont très réticentes à fournir leurs OGM à des scientifiques indépendants pour qu’ils les testent. Quand on insiste, elles évoquent le “secret commercial”. Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir des financements pour conduire des études sur les effets à long terme des aliments transgéniques. Avec des collègues provenant de six pays européens, nous avons demandé des fonds à l’Union européenne, qui a refusé sous prétexte que les compagnies avaient déjà conduit elles-mêmes ce genre d’études…
– Que dire de l’étude conduite par Monsanto sur les rats, poulets, poissons-chats et vaches laitières?
– Elle est très importante, parce qu’elle a servi de base au principe d’équivalence en substance et elle explique, en partie, l’absence d’études complémentaires. Mais je dois dire qu’elle est très décevante d’un point de vue scientifique. Si on m’avait demandé de la relire avant publication, je l’aurais rejetée, car les données fournies sont trop insuffisantes. Je dirais même que c’est de la mauvaise science…
– Avez-vous essayé de vous procurer les données brutes de l’étude?
– Oui, mais malheureusement, Monsanto a refusé de les communiquer au motif qu’elles étaient couvertes par le secret commercial… C’est la première fois que j’entendais un tel argument concernant les données d’une recherche… Normalement, dès qu’une étude est publiée, n’importe quel chercheur peut demander à consulter les données brutes, pour répéter l’expérience et contribuer au progrès scientifique. Le refus de Monsanto donne immanquablement l’impression que la firme a quelque chose à cacher: soit que les résultats ne sont pas suffisamment convaincants, soit qu’ils sont mauvais, soit que la méthodologie et le protocole utilisés ne sont pas suffisants pour résister à une analyse scientifique rigoureuse. Pour faire notre étude, nous avons donc dû nous contenter du résumé fourni par la firme aux agences de réglementation. Et il y a des choses très troublantes.
Par exemple, à propos de l’étude sur les rats, les auteurs écrivent: “À part leur couleur marron foncée, les foies paraissaient normaux lors de la nécropsie. […] Cette couleur n’est pas considérée comme étant liée à la modification génétique.” Comment peuvent-ils prétendre cela sans faire des sections des foies et les observer au microscope pour être sûr que cette couleur marron foncée est normale? Manifestement, ils se sont contentés d’une évaluation oculaire des organes, ce qui n’est pas une manière scientifique de conduire une étude post mortem. De même, les auteurs indiquent que “les foies, les testicules et les reins ont été pesés” et que “plusieurs différences ont été observées”, mais qu’elles ne furent “pas considérées comme étant liées à la manipulation génétique”… Encore une fois, comment peuvent-ils affirmer cela? Manifestement, ils n’ont pas analysé les intestins ni les estomacs, ce qui constitue une faute très grave dans une étude toxicologique. Ils disent aussi que quarante tissus ont été prélevés, mais on ne sait pas lesquels! D’ailleurs, je ne connais que vingt-trois tissus répertoriés, comme la peau, les os, la rate, la thyroïde... Quels sont les autres?
De plus, les rats utilisés pour l’expérience avaient huit semaines: ils étaient trop vieux! D’habitude, pour une étude toxicologique, on utilise de jeunes cobayes, pour voir si la substance testée a un impact sur le développement de leur organisme qui est en pleine croissance. Le meilleur moyen de cacher des effets nocifs éventuels, c’est d’utiliser des cobayes âgés, d’autant plus que, malgré les anomalies constatées, l’étude n’a duré que vingt-huit jours, ce qui n’est pas suffisant… Le dernier paragraphe du texte résume bien l’impression générale: “Les études toxicologiques fournissent une certaine assurance qu’aucun changement majeur ne s’est produit avec le soja modifié génétiquement…” Je ne veux pas une “certaine assurance”, mais une assurance à 100 %! En fait, quand on sait que cette étude a justifié l’introduction des OGM dans la chaîne alimentaire, on ne peut qu’être inquiets… Mais que faire? Regardez ce qui est arrivé récemment à ma collègue Manuela Malatesta…"
La peur de Monsanto
J’ai rencontré Manuela Malatesta le 17 novembre 2006, à l’université de Pavie en Italie. Elle était encore traumatisée par l’expérience qu’elle venait de vivre et qui l’avait contrainte à quitter l’université d’Urbino, où elle avait travaillé pendant plus de dix ans. "Tout ça à cause d’une étude sur les effets du soja transgéniqueiv", me dit-elle avec un soupir. En effet, la jeune chercheuse a fait ce que personne n’avait fait: répéter l’étude toxicologique conduite en 1996 par Monsanto. Avec son équipe, elle a nourri un groupe de rats avec une diète habituelle (groupe contrôle) et un autre groupe avec la même diète à laquelle avait été ajouté du soja Roundup ready (groupe expérimental). Pris dès le sevrage, les cobayes ont été suivis jusqu’à leur mort (en moyenne deux ans plus tard). "Nous avons étudié les organes des rats au microscope électronique, m’explique Manuela Malatesta, et nous avons constaté des différences statistiquement significatives, notamment dans les noyaux des cellules du foie des rats nourris avec du soja transgénique. Tout semble indiquer que les foies avaient une activité physiologique plus élevée. Nous avons trouvé des modifications similaires dans les cellules du pancréas et des testicules.
– Comment expliquez-vous ces différences?
– Malheureusement, nous aurions aimé poursuivre ces études préliminaires, mais nous n’avons pas pu, car les financements se sont arrêtés… Nous n’avons donc que des hypothèses: les différences peuvent être dues à la composition du soja ou aux résidus de Roundup. Je précise que les différences que nous avons constatées ne sont pas des lésions, mais la question est de savoir quel rôle biologique elles peuvent avoir à long terme, et pour cela il faudrait développer une autre étude…
– Pourquoi ne le faites-vous pas?
– Ah!, murmure Manuela Malatesta, en cherchant ses mots. Actuellement, la recherche sur les OGM est un sujet tabou… On ne trouve pas d’argent pour cela. Nous avons tout fait pour trouver un complément de financement, mais on nous a répondu que, comme dans la littérature scientifique il n’y avait pas de données qui prouvent que les OGM provoquent des problèmes, il était donc totalement inutile de travailler là-dessus. On ne veut pas trouver de réponses aux questions qui gênent… C’est le résultat de la peur diffuse qu’il y a de Monsanto et des OGM en général… D’ailleurs, quand j’ai parlé des résultats de l’étude à certains de mes collègues, ils m’ont vivement déconseillé de les publier, et ils avaient raison, car j’ai tout perdu, mon laboratoire, mon équipe... J’ai dû recommencer à zéro dans une autre université, grâce à un collègue qui m’a soutenue…
– Est-ce que les OGM vous inquiètent?
– Aujourd’hui, oui! Pourtant, au début, j’étais persuadée qu’ils ne posaient pas de problèmes, mais maintenant les secrets, les pressions et la peur qui les entourent me font douter…"
Un sentiment qui, nous allons le voir, est partagé par d’autres scientifiques comme le "dissident" Arpad Pusztai, victime de la toile tissée par Monsanto un peu partout dans le monde...

Publié dans biodiversite

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