Pour créer des emplois, la France a besoin d’une industrie plus forte» (archive)

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Questions à
«Pour créer des emplois, la France a besoin d’une industrie plus forte»
Débat. La désindustrialisation est-elle un danger ? L’économiste Brieux Bougnoux répond.
Recueilli par CHRISTOPHE ALIX
QUOTIDIEN : lundi 5 mai 2008

Avec la crise alimentaire, on vient de redécouvrir l’importance de l’agriculture. Il est maintenant urgent de prendre conscience de l’importance de l’industrie et du danger de sa disparition en France, explique l’économiste Brieuc Bougnoux.

L’industrie française a connu une embellie inattendue en 2007 avec un chiffre d’affaires, des exportations et des marges reparties à la hausse. Comment l’expliquer ?

Ce répit est bienvenu, après sept années de déclin. Il semble que l’industrie allemande n’arrive pas à honorer toutes les commandes qui lui sont adressées et qu’une partie se redirige sur notre pays. Savez-vous que dans certains secteurs, comme les fabricants de panneaux solaires, il faut attendre deux ans entre le moment où l’on commande certaines machines et leur livraison ? Les fabricants de biens d’équipements font face à une demande très forte des pays émergents et ont du mal à y répondre.

L’industrie continue de jouer un rôle moteur dans le développement économique…

Le secteur ne représente plus que 16 % de l’emploi en France, et cette part diminue régulièrement. Cela peut faire croire que l’industrie est devenue une activité secondaire face à des services très dynamiques assurant l’essentiel des créations d’emplois. Mais cette vision est trompeuse. Si le but est bien, au final, de créer des emplois, la création de richesse présente un objectif intermédiaire primordial qu’il ne faut pas perdre de vue. Or, la création de richesse est en grande partie le fait de l’industrie. Elle concentre 78 % de nos exportations et près de 90 % des dépenses de R & D [recherche et développement, ndlr] des entreprises.

Pourquoi les régions qui s’en sortent le mieux et créent le plus d’emplois sont également celles avec des industries fortes ?

Les études menées dans la région grenobloise ont montré qu’un emploi créé dans un groupe comme STMicroelectronics engendre environ un emploi chez les fournisseurs du site, ces deux emplois donnant à leur tour naissance à quatre emplois dans l’économie des services pour répondre aux besoins des familles ! L’emploi se développe là où l’industrie se développe. Entre 1993 et 2006, les emplois industriels - incluant les services aux entreprises, eux-mêmes de plus en plus industrialisés - ont cru de 43 % en région Midi-Pyrénées pendant que l’ensemble des emplois y progressait de 40 %. A l’inverse, en Champagne-Ardenne, l’emploi industriel n’a augmenté que de 3 %, et l’emploi total n’a cru que de 10 %.

La France est-elle plus désindustrialisée que ses voisines ?

Oui, l’industrie ne représente plus que 21 % du PIB en France contre 29 % en Allemagne, au Japon et en Espagne, 27 % en Italie. Même le Royaume-Uni et les Etats-Unis, que l’on croit très portés sur les services, sont plus industrialisés que la France avec entre 22 % et 24 % du PIB provenant de ce secteur. Pour espérer maintenir notre niveau de vie et créer de nouveaux emplois en nombre suffisant, l’économie française aurait besoin d’une industrie plus forte.

Les derniers chiffres sur le commerce extérieur de la France sont quand même le signe du déficit de compétitivité de l’industrie française ?

Les chiffres ne sont pas bons, même si le solde extérieur n’est pas le meilleur indicateur. Il faut plutôt regarder le montant des exportations. L’Allemagne nous a pris de nombreux marchés. Ce pays applique depuis plusieurs années une politique de modération salariale qui renforce la compétitivité de ses entreprises. Il a également mieux joué sa carte internationale en matière de production avec des sous-traitants, souvent en Europe de l’Est, qui ont permis de réduire les coûts de production de l’industrie allemande. L’augmentation de l’euro a évidemment joué défavorablement sur le grand export [en Asie ou vers les Etats-Unis]. Il faut se mobiliser pour demander à la Chine une revalorisation de sa monnaie. On ne peut pas être pour la liberté douanière, mais contre les ajustements monétaires.

Quelles sont les principales pistes pour rendre l’industrie française plus compétitive ?

Le paradoxe est que nous avons beaucoup d’ingénieurs en France mais notre secteur industriel est moins développé. Cela montre qu’il y a une défaillance dans la chaîne de transmission. Quand on se compare à d’autres, la faiblesse de nos dépenses en matière de recherche et développement apparaît assez nettement. A la différence de l’Europe du Nord, notre savoir-faire commercial n’est également pas très bon. La France doit progresser dans ce domaine. Enfin, il semble que notre industrie est trop dispersée sectoriellement. La mondialisation nous incite à nous spécialiser plus qu’à nous diversifier. De plus, il me semblerait normal, s’il était avéré que les usines européennes supportent une contrainte environnementale plus forte (protocole de Kyoto, etc.), de mettre en place une taxe carbone sur les produits industriels importés. L’industrie européenne ne doit pas supporter à elle seule, et la dévaluation du dollar, et les indispensables mesures de contrôle des émissions de gaz à effet de serre.



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